Souvenirs d'Autos • Peugeot

Souvenirs d'Autos (271) : l'inconnu de Lyon

Une rubrique pilotée par le Commandant Chatel. Ce texte m’a été envoyé par Pierre que je remercie pour sa fidélité à ma chère rubrique.



 

Ce dimanche de juillet, notre Peugeot 204 filait sur la Nationale 75 vers Romenay en Saône et Loire, à trente minutes environ au sud de Tournus. Mes parents nous emmenaient, mon frère Claude et moi, passer quelques jours de vacances chez nos grands-parents dans un hameau perdu au milieu des champs.

Nous étions au début des années 70.

Nous arrivions. Mon père faufilait notre berline bordeaux à l'ombre près de la grange.

Nous sautions de l'Auto avec bagages, pistolets et boite à jouets.

Nous entrions dans la grande cuisine et saluions tous les paysans du lieu-dit rassemblés là comme souvent.

Papa prit place dans le cercle. On lui versa vin rouge, café, eau de vie puis encore eau de vie. Rude protocole.

Dans ce coin de pays on parlait le patois et on roulait le -r-. Mon frère et moi amusés imitions en cachette l'accent d'ici.

La 403 de Fernand, la 304 break de Henry, l'Estafette de Daniel le maçon et la Juvaquatre de Maurice… Toutes les autos du hameau étaient garées là dans un joyeux désordre.

On apercevait aussi au bout du corps de ferme l'indéfectible tracteur Pony, discret il pointait son nez rouge.

Il manquait l'oncle Paul et la tante Lili, les parents de Fernand. Aimés de tous, ils étaient les doyens du hameau.

L'oncle Paul conduisait une Quatrelle et ne passait qu'une vitesse ou deux, on reconnaissait toujours la Renault de l'oncle au bruit de son moteur en surrégime.

À propos de cette auto, il y a des années de cela, l'oncle Paul conduisit la vaillante équipe du hameau à la chasse chez mon oncle Roger David, viticulteur à Ozenais, village du Tournusois. Au retour du pays des vins, nos artilleurs chantaient fort dans l'Auto quand l'oncle Paul soudain oublia un virage. La petite Berline garda le cap et fila droit se frayer un passage dans les plans de vigne d'un coteau réputé.

Cartouchières et mousquets volèrent dans la malle arrière, on vit aussi tournoyer quelques casquettes. Grand moment. Un tracteur et une forte corde tirèrent d'affaire l'Auto de nos ostrogoths. Ils arrivèrent au hameau à la nuit noire.

Il fut entendu que rien ne serait dit aux épouses sur cette échappée au cœur d'un fameux vignoble.

Ce dimanche après-midi un Conseil avait lieu. Une affaire étrange tenait en émoi les habitants depuis le début de l'été.

Une Auto, une 403 Peugeot, traversait le hameau en soulevant des nuages de poussière et projetant boue et graviers dans la cour des fermiers. L'énorme Berline roulait en direction des bois à la vitesse d'un Express.

Au volant on apercevait un curieux chauffeur inconnu au pays qui, enragé, se rendait ainsi chaque semaine vers une maison achetée pendant l'hiver. Pied au plancher, il coupait les virages, arrachait la terre des talus et traçait des ornières profondes.

Pire encore, les animaux des basse-cours égarés sur la chaussée n'étaient pas épargnés.

De la plume montait parfois en tourbillons au-dessus du chemin.

L'étranger semait le trouble, causait grand dérangement au lieu-dit. Les paysans voyaient la chose d'un très mauvais œil.

On identifia l'Auto, elle arrivait de Lyon. Pas du Rhône non, mais de Lyon ! On disait toujours Lyon.

Ce dimanche animé passa. Le lendemain, dès 7h, le laitier Balèrio au volant de son camion Citroën s'arrêta devant la ferme. Chaque matin, il chargeait les bidons de lait déposés tôt en bordure de route et en rendait quelques autres vides, puis sitôt la besogne accomplie, il se hâtait vers la maison, passait le seuil de la porte.



  • Salut les gamins ! criait il.




Il se dirigeait vers le placard de la cuisine s'emparait de la bouteille de vin blanc et se versait un verre qu'il vidait d'un trait tandis que nous déjeunions. Puis il tournait les talons, visait le Citroën et s'en retournait.

Le camion repartait au pas faisant grelotter les bidons.

Mon frère et moi riions aux éclats, Balério avait le nez coloré comme le Pony.

Vers midi arrivait la fourgonnette de la poste, la Renault Quatre jaune si familière dans les campagnes. Paul, le facteur, déposait le journal et le Pèlerin sur la table de maison et parfois même médicaments et commissions. Il donnait aussi des nouvelles de la commune, plaisantait puis remontait dans l'Auto de l'Administration. Il nous adressait un salut de la main et lançait en patois :



  • A vou r'va ! (L'au revoir des gens d'ici).




L'Auto mystérieuse traversait le hameau à toute heure de la journée et nous n'attendîmes pas longtemps pour l'apercevoir ce jour-là alors que nous jouions sur le chemin. Ronronnant et furieuse, la grande Berline surgit au bout de la route. Imposante, elle disparut au premier virage après la ferme d'Angèle la voisine.

Nous racontions cette rencontre à mes grands-parents. Un dimanche avec mes cousins nous partîmes en expédition à la lisière des bois afin d'épier l'étranger.

À l'automne les chasseurs patrouillèrent autour de l'endroit, l'auto était reculée sous un appentis, apprenait-on.

Histoires et rumeurs fusaient, insensées.

L'affaire fit le tour du pays, ni les gendarmes, ni le maire ne furent avisés.

L'année s'écoula, les passages de la Peugeot bientôt se firent de plus en plus rares puis un jour cessèrent.

Le hameau retrouva sa tranquillité, les paysans en avaient fini avec l'étranger mais parlèrent encore longtemps de cette histoire extraordinaire.

L'Inconnu de Lyon au volant de la 403 Peugeot s'était évanoui, on ne le revit jamais.

 Cette rubrique est aussi la vôtre !

Faites comme Pierre et racontez vos anecdotes au Commandant Chatel par mail (thibautchatel@icloud.com), il se chargera de les publier. N’oubliez pas que pour « Souvenirs d’Autos » nous cherchons de l’anecdote, de l’humain, de l’humour, de l’émotion… et si possible pas trop de disparition de personnes… Hum…

Et si possible, joignez à votre histoire des photos….

On adore ça chez POA !

Merci.

 

 

 

Ce dimanche de juillet, notre Peugeot 204 filait sur la Nationale 75 vers Romenay en Saône et Loire, à trente minutes environ au sud de Tournus. Mes parents nous emmenaient, mon frère Claude et moi, passer quelques jours de vacances chez nos grands-parents dans un hameau perdu au milieu des champs.

Nous étions au début des années 70.

Nous arrivions. Mon père faufilait notre berline bordeaux à l'ombre près de la grange.

Nous sautions de l'Auto avec bagages, pistolets et boite à jouets.

Nous entrions dans la grande cuisine et saluions tous les paysans du lieu-dit rassemblés là comme souvent.

Papa prit place dans le cercle. On lui versa vin rouge, café, eau de vie puis encore eau de vie. Rude protocole.

Dans ce coin de pays on parlait le patois et on roulait le -r-. Mon frère et moi amusés imitions en cachette l'accent d'ici.

La 403 de Fernand, la 304 break de Henry, l'Estafette de Daniel le maçon et la Juvaquatre de Maurice… Toutes les autos du hameau étaient garées là dans un joyeux désordre.

On apercevait aussi au bout du corps de ferme l'indéfectible tracteur Pony, discret il pointait son nez rouge.

Il manquait l'oncle Paul et la tante Lili, les parents de Fernand. Aimés de tous, ils étaient les doyens du hameau.

L'oncle Paul conduisait une Quatrelle et ne passait qu'une vitesse ou deux, on reconnaissait toujours la Renault de l'oncle au bruit de son moteur en surrégime.

À propos de cette auto, il y a des années de cela, l'oncle Paul conduisit la vaillante équipe du hameau à la chasse chez mon oncle Roger David, viticulteur à Ozenais, village du Tournusois. Au retour du pays des vins, nos artilleurs chantaient fort dans l'Auto quand l'oncle Paul soudain oublia un virage. La petite Berline garda le cap et fila droit se frayer un passage dans les plans de vigne d'un coteau réputé.

Cartouchières et mousquets volèrent dans la malle arrière, on vit aussi tournoyer quelques casquettes. Grand moment. Un tracteur et une forte corde tirèrent d'affaire l'Auto de nos ostrogoths. Ils arrivèrent au hameau à la nuit noire.

Il fut entendu que rien ne serait dit aux épouses sur cette échappée au cœur d'un fameux vignoble.

Ce dimanche après-midi un Conseil avait lieu. Une affaire étrange tenait en émoi les habitants depuis le début de l'été.

Une Auto, une 403 Peugeot, traversait le hameau en soulevant des nuages de poussière et projetant boue et graviers dans la cour des fermiers. L'énorme Berline roulait en direction des bois à la vitesse d'un Express.

Au volant on apercevait un curieux chauffeur inconnu au pays qui, enragé, se rendait ainsi chaque semaine vers une maison achetée pendant l'hiver. Pied au plancher, il coupait les virages, arrachait la terre des talus et traçait des ornières profondes.

Pire encore, les animaux des basse-cours égarés sur la chaussée n'étaient pas épargnés.

De la plume montait parfois en tourbillons au-dessus du chemin.

L'étranger semait le trouble, causait grand dérangement au lieu-dit. Les paysans voyaient la chose d'un très mauvais œil.

On identifia l'Auto, elle arrivait de Lyon. Pas du Rhône non, mais de Lyon ! On disait toujours Lyon.

Ce dimanche animé passa. Le lendemain, dès 7h, le laitier Balèrio au volant de son camion Citroën s'arrêta devant la ferme. Chaque matin, il chargeait les bidons de lait déposés tôt en bordure de route et en rendait quelques autres vides, puis sitôt la besogne accomplie, il se hâtait vers la maison, passait le seuil de la porte.



  • Salut les gamins ! criait il.




Il se dirigeait vers le placard de la cuisine s'emparait de la bouteille de vin blanc et se versait un verre qu'il vidait d'un trait tandis que nous déjeunions. Puis il tournait les talons, visait le Citroën et s'en retournait.

Le camion repartait au pas faisant grelotter les bidons.

Mon frère et moi riions aux éclats, Balério avait le nez coloré comme le Pony.

Vers midi arrivait la fourgonnette de la poste, la Renault Quatre jaune si familière dans les campagnes. Paul, le facteur, déposait le journal et le Pèlerin sur la table de maison et parfois même médicaments et commissions. Il donnait aussi des nouvelles de la commune, plaisantait puis remontait dans l'Auto de l'Administration. Il nous adressait un salut de la main et lançait en patois :



  • A vou r'va ! (L'au revoir des gens d'ici).




L'Auto mystérieuse traversait le hameau à toute heure de la journée et nous n'attendîmes pas longtemps pour l'apercevoir ce jour-là alors que nous jouions sur le chemin. Ronronnant et furieuse, la grande Berline surgit au bout de la route. Imposante, elle disparut au premier virage après la ferme d'Angèle la voisine.

Nous racontions cette rencontre à mes grands-parents. Un dimanche avec mes cousins nous partîmes en expédition à la lisière des bois afin d'épier l'étranger.

À l'automne les chasseurs patrouillèrent autour de l'endroit, l'auto était reculée sous un appentis, apprenait-on.

Histoires et rumeurs fusaient, insensées.

L'affaire fit le tour du pays, ni les gendarmes, ni le maire ne furent avisés.

L'année s'écoula, les passages de la Peugeot bientôt se firent de plus en plus rares puis un jour cessèrent

Le hameau retrouva sa tranquillité, les paysans en avaient fini avec l'étranger mais parlèrent encore longtemps de cette histoire extraordinaire.

L'Inconnu de Lyon au volant de la 403 Peugeot s'était évanoui, on ne le revit jamais.

 Cette rubrique est aussi la vôtre !

Faites comme Pierre et racontez vos anecdotes au Commandant Chatel par mail (thibautchatel@icloud.com), il se chargera de les publier. N’oubliez pas que pour « Souvenirs d’Autos » nous cherchons de l’anecdote, de l’humain, de l’humour, de l’émotion… et si possible pas trop de disparition de personnes… Hum…

Et si possible, joignez à votre histoire des photos….

On adore ça chez POA !

Merci.

 

 

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Vendredi 27 mars 2020

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